Pistes de réflexion sur les obstacles à l’enseignement de la théorie de l’évolution - Troisième partie : Vitalisme et mécanisme

Introduction

I. La théorie de l’évolution en résumé et l’évolution de la théorie

II. Hasard et finalisme

III Vitalisme et mécanisme

Eloignons–nous brièvement de la problématique de l’évolution des êtres vivants pour nous poser la question de la Vie et examiner les réponses qui y ont été apportées.

Nous commencerons par picorer dans l’histoire des sciences pour voir le chemin parcouru. Nous trouverons des réponses qui aujourd’hui n’ont plus cours dans la biologie actuelle mais qui subsistent dans les représentations et que nous pourrons relier aux représentations de l’évolution.

1. Une brève histoire du mécanisme et du vitalisme

2. Retour à l’évolution


1. Une brève histoire du mécanisme et du vitalisme

 Aristote (385 – 322 avant JC) est le plus grand biologiste de l’Antiquité. Il a écrit plus d‘ouvrages de zoologie que de métaphysique, de morale ou de politique.

Dans son traité De motu animalium, il assimile les organes du mouvement animal à certaines pièces de machines de guerre, comme les catapultes. Avant lui, son maître Platon avait déjà comparé les vertèbres à des charnières. On voit là les prémisses d’une représentation de l’organisme en tant que machine.

Dans les Petits traités d’histoire naturelle, il évoque un principe de vie, lié à la conservation de la chaleur chez les animaux. Cette observation simple - un animal vivant est chaud. La chaleur le quitte lorsqu’il meurt - lui fait donc associer la chaleur à la vie. La vie consiste dans la production et le maintien de cette chaleur.

Dans son traité De l’âme, la vie est plus clairement associée à une âme (anima : ce qui anime), qu’il ne faut pas ici confondre avec l’âme immatérielle et éternelle des religions. Chez Aristote, l’âme est liée au corps. Il distinguera trois type d’âme : l’âme nutritive, commune à tous les êtres vivants, qui leur permet de se nourrir, de croître et de se reproduire, l’âme sensitive qui s’ajoute chez les animaux et qui leur permet percevoir leur environnement, et enfin l’âme rationnelle, particulière à l’Homme, qui lui confère le jugement.
L’âme chez Aristote est attachée au corps et lui donne vie.

Le vivant a donc ici quelque chose de plus, que n’a pas le non vivant et qui fait qu’il est vivant.

 Un bond dans le temps nous amène au XVIIème siècle avec Descartes et son mécanisme.
Descartes présente l’organisme, humain ou animal comme une machine, un automate. L’organisme est fait de tuyaux et de ressorts.

Georgius Baglivi (1668-1707) à la suite de Descartes nous donne cette description dans son Praxis medica (1696) :
« Examinez avec quelque attention l’économie physique de l’homme : qu’y trouvez-vous ? Les mâchoires armées de dents, qu’est-ce autre chose que des tenailles ? L’estomac n’est qu’une cornue ; les veines, les artères, le système entier des vaisseaux, ce sont des tubes hydrauliques ; le cœur est un ressort ; les viscères ne sont que des filtres, des cribles ; le poumon n’est qu’un soufflet ; qu’est-ce que les muscles ? Sinon des cordes. Qu’est-ce que l’angle oculaire ? Si ce n’est une poulie, et ainsi de suite. »

L’ambition de Descartes était d’appliquer au vivant la démarche qui avait si bien réussi en mécanique : il voulait expliquer, théoriser le vivant par la physique et les mathématiques. Il voulait tout expliquer par la matière et le mouvement. Le vivant était ainsi ramené dans le giron de la science dont il était avec d’autres en train de jeter les bases, par sa méthode, par ses postulats de départ tels que le matérialisme, c’est-à-dire la volonté d’expliquer la nature uniquement par la nature. Influencé par les découvertes et les techniques de son époque, il conçoit ainsi ce qu’il appelle animal machine, dont le fonctionnement est régi par la mécanique et l’hydraulique.

Dans son Traité de l’Homme ( publié en latin en 1662, puis en français en 1664), il écrit « Je suppose que le corps n’est autre chose qu’une statue ou machine de terre que Dieu forme tout exprès pour le rendre plus semblable à nous qu’il est possible. En sorte que non seulement il lui donne au dehors la couleur et la figure de tous nos membres, mais aussi qu’il met au-dedans toutes les pièces qui sont requises pour faire qu’elle marche, qu’elle mange, qu’elle respire et enfin qu’elle imite toutes celles de nos fonctions qui peuvent être imaginées procéder de la matière et ne dépendre que de la disposition des organes ».

Descartes place une nette séparation entre l’Homme et l’animal, en ne reconnaissant pas d’âme à l’animal. Les animaux ne sont que des automates. L’Homme seul possède une âme, distincte du corps. C’est le dualisme entre le corps et l’esprit, entre substance matérielle et spirituelle. L’âme est immatérielle. Corps et esprits interagissent et s’influencent mutuellement mais ils sont bien distincts.
Une des conséquences métaphysique de cette séparation entre l’Homme et l’animal est que le premier peut sans remords utiliser et exploiter le second. Il se rend « comme maître et possesseur de la Nature » (« Comme » seulement puisque le seul maître et possesseur de la Nature est Dieu), pour citer Descartes dans le Discours de la méthode.

On a avec Descartes une volonté d’expliquer le vivant avec des lois du non-vivant.
Mais dés son époque ce mécanisme, réduction des animaux à des automates, n’est pas accepté par tous, en particulier par tous ceux qui sont en contact avec les animaux. On fait ainsi remarquer que deux montres ensemble n’en feront jamais une troisième. Ce mécanisme apparait immédiatement incomplet car ne rendant pas compte de toutes les propriétés du vivant.

 Le vitalisme va se construire en réaction au mécanisme cartésien.

Il sera précédé de l’animisme de Georg Ernst Stahl (1659-1734). Pour Stahl, qui fut d’abord chimiste (on lui doit le phlogistique) l’organisme est composé d’un ensemble de matière hétérogène, qui naturellement se dissocierait. Il faut donc que quelque chose d’étranger à la physique et à la chimie l’oblige à rester ensemble : l’âme. Cette âme immatérielle fournit une force vitale qui s’oppose à la désagrégation de l’organisme. Plus que chez Descartes, l’immatériel surgit ici dans la physiologie.

Influencé par Stahl mais en reconnaissant l’excès, le vitalisme va tenter de se situer entre le mécanisme et l’animisme.

Le vitalisme repose sur le postulat que le vivant a ses lois propres, ce en quoi la plupart des biologistes pourront se reconnaître. Il est affirmation de l’originalité du vivant par rapport au non vivant, de l’organique par rapport à l’inorganique. Il affirme la spécificité du vivant et par extension des méthodes d’étude du vivant. On ne pourra pas faire de la biologie une simple branche de la physique et de la chimie.
Tout le problème est de comprendre et définir en quoi consiste cette originalité du vivant.

Le vitalisme se définit aussi par rapport au fait que l’être vivant est distinct de son milieu et réagit activement aux variations de ce milieu.
Des forces vitales spécifiques du vivant sont appelées et , pour définir et expliquer cette originalité du vivant, son fonctionnement et ses réactions, par rapport au non vivant.
Ces forces vitales sont placées sur le même plan que par exemple la force de gravitation de Newton. Leurs auteurs leur donne le même statut épistémologique, pour se distinguer de l’animisme de Stahl.

Le vitalisme a matière à se développer car de nombreux phénomènes ne semblent pas pouvoir s’expliquer par la simple mécanique, comme la reproduction sexuée, l’hérédité ou le développement de l’embryon.

Ainsi pour Caspar Friedrich Wolff (1734-1794), de ce qu’on appellera l’école vitaliste allemande, une vis essentialis propre aux organismes vivants permet la transformation de la matière inorganique en matière organique et permet ainsi l’organisation et le développement de l’embryon. Johann Blumenbach (1752-1840) complètera l’explication en adjoignant à la vis essentialis un nisus formativus, principe d’organisation.

En France le vitalisme prend racine à la faculté de médecine de Montpellier. Paul Joseph Barthez (1734-1806) écrit dans ses Nouveaux éléments de la science de l’Homme : « J’appelle principe vital de l’homme la cause qui produit tous les phénomènes de la vie dans le corps humain. Le nom de cette cause est assez indifférent et peut être pris à volonté. ».
Barthez distinguait les phénomènes de la matière de ceux de la vie et de ceux de l’âme, chacun étant régi par des lois spécifiques.

Le plus célèbre des vitalistes français est Xavier Bichat (1771-1802), aussi fondateur de l’histologie. Pour lui «  la vie est l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort » [1].
Pour Bichat, chaque tissu a sa vie propre, des caractéristiques particulières (ce qu’il nomme irritabilité, sensibilité, tonicité). Il écrit aussi « La physique, la chimie se touchent parce que les mêmes lois président à leurs phénomènes. Mais un immense intervalle les sépare de la science des corps organisés, parce qu’une énorme différence existe entre leurs lois et celles de la vie. »

Selon Bichat, pour George Canguilhem [2], les actes de la vie opposent à l’invariabilité des lois physiques leur instabilité, leur irrégularité, comme un « écueil où sont venus échouer tous les calculs des physiciens médecins du siècle passé ». Le vivant échappe au déterminisme et devient imprévisible.

Le vitalisme domine à la fin du XVIIIème siècle, car globalement les naturalistes ne peuvent se satisfaire du mécanisme cartésien. Le vivant ne peut s’expliquer avec les forces physico-chimiques connues alors. Augustin Cournot (1801-1877), mathématicien et philosophe, écrit dans Matérialisme, vitalisme, rationalisme. Étude sur l’emploi des données de la science en philosophie (1875) : « Tous les progrès de l’observation scientifique confirment tellement l’idée d’une distinction radicale entre les lois du monde physique et celles des phénomènes de la vie ».

Il y a donc l’idée d’un être vivant dans un milieu soumis aux lois physiques sans y être soumis lui-même.

« Si la force vitale revêt une telle importance pour le début du siècle dernier, c’est qu’elle joue le rôle que la physique attribuera plus tard à deux concept nouveaux. Les êtres vivants apparaissent aujourd’hui comme le siège d’un triple flux de matière, d’énergie et d’information. A ses débuts, la biologie est en mesure de reconnaître un flux de matière, mais à la place des deux autres, il lui faut recourir à une force particulière », explique François Jacob dans La logique du vivant (cité par Paul Mazliak).

Mais toutes ces forces restent assez mystérieuses, et le vitalisme a ensuite décliné au XIXème siècle, à travers des découvertes qui vont réduire l’espace entre vivant et non vivant :

  • La synthèse de l’urée, molécule organique, en 1828 par Friedrich Wohlër montre qu’on peut faire de l’organique avec de l’inorganique au laboratoire.
  • Les travaux de Pasteur qui démontrent qu’il n’y a pas de génération spontanée, donc pas de principe vital susceptible de faire apparaître la Vie à partir du non vivant
  • Toutes les découvertes de la biologie moléculaire, avec l’ADN, sa structure, son expression, les protéines et leurs fonctions, qui vont ramener les activités du vivant à des supports moléculaires et à des réactions chimiques.

 Il convient de souligner dans cette histoire le rôle de Claude Bernard qui dans ses travaux a montré que les lois de la physique et de la chimie s’appliquaient à l’intérieur de l’organisme, rejetant explicitement tout principe vital ou de force mystérieuse pour parler de déterminisme. Il était nécessaire dans sa méthode que vivant et non vivant soient soumis aux mêmes lois, car s’il n’y a pas de déterminisme, si les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets, il n’y a pas d’expérience possible. Il était donc nécessaire de ne pas s’arrêter aux irrégularités pointées par Bichat. C’est en considérant les différents organes dans leurs fonctions au sein de l’organisme qu’il a pu aller au-delà.

Claude Bernard renvoie dos à dos les conceptions mécanistes et vitalistes et emprunte une voie différente avec le concept de milieu intérieur. Il les concilie et les dépasse en en prenant le meilleur, basant ses travaux sur le matérialisme tout en tenant compte de l’originalité du vivant. La physiologie est une vraie science, tout en étant autonome, par son objet et sa méthode.
Il fonde sa propre méthode, qui n’appartient plus à la physique ou à la chimie, tout en restant attachée au déterminisme, contrairement à Bichat.
Claude Bernard étudie un tout, l’organisme, avec ce milieu intérieur qui est déterminé par les organes et qui les relie.

On peut finalement définir ici ce qui fait peut-être simplement l’originalité de vivant par rapport au non vivant : sa complexité, qui se déroule à plusieurs niveaux. On voit que l’approche réductionniste, si elle est valable et est fructueuse, est limitée en biologie. On ne peut comprendre l’être vivant par l’étude de ses parties séparées. C’est ainsi que Claude Bernard justifie la vivisection et l’expérimentation sur l’animal.

Toutefois Claude Bernard se trouva contraint d’introduire une force directrice en plus des forces physico-chimiques pour rendre compte du développement de l’embryon.

Si le vitalisme a la vertu d’affirmer la spécificité du vivant et des méthodes de la biologie, on voit comme il peut apparaître comme une solution de facilité. On fait appel à une force vitale parce qu’on n’a pas d’explication.
Pour Jean Rostand (1894-1977), biologiste et historien des sciences, cité par Canguilhem [3] : « Le mécanisme a, à l’heure actuelle, une position extrêmement solide, et l’on ne voit guère ce qu’on peut lui répondre quand, fort de ses succès quotidiens, il demande simplement des délais pour achever son œuvre, à savoir pour expliquer la vie sans la vie ». Le vitalisme serait alors simplement le refus de ces délais.

Aujourd’hui on ne parle plus de mécanique et d’hydraulique. Ce n’est plus le mécanisme de Descartes mais la vie est expliquée en utilisant la physique et la chimie car nous avons plus de physique et de chimie à notre disposition.

La science montre une vision mécaniste de l’être vivant. Ce n’est plus un automate comme chez Descartes, avec des ressorts et des soufflets. C’est aujourd’hui une mécanique moléculaire, mais le principe est au fond le même : la cellule est le siège, et son activité le résultat, de réactions chimiques en chaînes qui s’entrecroisent, grâce à des protéines, les enzymes, fabriquées sous contrôle d’une autre molécule : l’ADN.
Nous le comprenons, bien que la complexité de la relation gène/protéine nous apparaisse de plus en plus grande. Cette cellule produit de l’énergie, prend, libère, reçoit ou émet des informations, se divise… Comment passe-t-on d’un niveau à l’autre, d’une multitude de réactions chimiques à une cellule vivante, c’est ce qu’il est difficile de se représenter.

En 1944, Schroedinger demandait dans son livre Qu’est-ce que la vie ? : « Comment peut-on expliquer à l’aide de la physique et de la chimie les évènements qui se déroulent dans l’espace et dans le temps dans les limites spatiales d’un organisme vivant ? ».

Nous avons là un questionnement matérialiste poussé à son extrême par un physicien : on affirme que le vivant obéit aux lois de la physique et de la chimie et à rien d’autre. C’est cette voie, strictement matérialiste, qui a été suivie depuis Claude Bernard.

Pour Michel Morange, il n’y a plus aujourd’hui « de place pour un questionnement direct sur la vie parce que la majorité des scientifiques pense que ses caractéristiques fondamentales sont aujourd’hui connues […]. Un organisme vivant est un système chimique autopoïétique, c’est-à-dire capable de régénérer ses propres constituants, échangeant matière et énergie avec son environnement. […] Résoudre la question de la vie ne consiste donc plus à trouver d’hypothétiques lois ou principes qui en expliqueraient les caractéristiques,… ». [4]

L’ultime fin du vitalisme sera peut-être la synthèse d’êtres vivants artificiels, promise par la biologie synthétique en pleine effervescence actuellement.

2. Retour à l’enseignement de l’évolution

 Pourquoi ce détour par l’histoire du vitalisme ? Parce que l’idée qu’on se fait de l’évolution ne peut qu’être influencée par l’idée qu’on se fait de la vie.

  • Dans le langage courant, on parle de donner ou de perdre la vie. La Vie semble pouvoir être ajoutée ou soustraite à l’organisme. Le corps peut être là indépendamment de la Vie.

Il y a dans les représentations communes une étincelle de vie qui peut se transmettre à l’objet inanimé pour le rendre vivant, comme Dieu à Adam, comme la fée à Pinocchio, comme Frankenstein à sa créature. Nous sommes bien là dans un mode de représentation intégré à la pensée occidentale, attachée sans doute à la religion, et qui ressemble fortement à une conception vitaliste, dans la lignée d’Aristote. La Vie est ainsi quelque chose d’un peu magique. Elle semble aussi pouvoir facilement se confondre avec l’âme immatérielle de la religion.

Or cette vie qui nous anime, qui nous transcende, que devient-elle si on lui ajoute un objectif, un but ? Elle est l’élan vital de Bergson, elle est la force différenciante de Spencer. Il suffit de lui assigner un projet.
Ainsi ces conceptions vitalistes me semblent pouvoir se rapprocher des forces internes qui prétendent diriger l’évolution. Elles procèdent d’un même mode de pensée. Elles sont des forces mystérieuses. Elles entraînent facilement vers l’immatériel et sortent alors du champ de la science, parce qu’il est plus facile de penser les choses ainsi que de creuser l’explication que demande l’exigence matérialiste.

Les vitalistes se gardaient d’un animisme excessif en donnant à leurs forces vitales le même statut épistémologique que la gravitation de Newton. Mais elles se sont souvent révélées bien plus vagues, mal définies et moins explicatives que la force de gravitation. On notera qu’aujourd’hui (pour ce que j’en comprends) les physiciens ont résolu le problème du statut de ces forces qui s’exercent à distance en postulant qu’elles correspondent à des échanges de particules entre particules.

  • De l’autre côté, le mécanisme, la comparaison de l’organisme avec les machines conçues par l’Homme peut entrainer lui aussi vers une représentation fausse de l’évolution, car une machine est construite dans un but précis.

Une machine est un objet hautement finalisé qui par définition est construite par un ingénieur pour remplir une tâche. Il ne peut y avoir de machine sans constructeur.
C’était ainsi pour Descartes et son animal machine, et c’est pour lui Dieu qui tient ce rôle, bien que ce mécanisme soit explicitement lié à une démarche matérialiste.
C’est ainsi aussi pour les tenants de l’Intelligent Design (IDers) pour les organes dans l’organisme, mais aussi pour la machinerie moléculaire de la cellule, qui donc amènent à l’idée d’un designer. Ce n’est pas un hasard si certains des plus éminents IDers sont des biochimistes, formés à décrire cette machinerie, comme Michael Behe.

Une image nous montre la parenté entre mécanisme et Intelligent design : celle de la montre.

La montre, les horloges font partie des machines qui ont beaucoup intéressé Descartes, car ce sont des nouveautés de son époque.

La montre est aussi au cœur de l’une des plus fameuses images de la Théologie naturelle (1802) de William Paley (1743-1805). Paley encourageait le développement des sciences pour décrire la nature car pour lui la nature et sa perfection révélaient l’existence de Dieu. Il prend ainsi l’image d’une montre que l’on trouve et dont la complexité ne peut que nous laisser penser qu’il y a derrière un designer, car cette complexité ne peut être le fruit du hasard.

Cette théologie naturelle a été reprise par les IDers qui ont fait reparaître l’ouvrage de Paley.

Si un mécanisme limité peut être pertinent en nous permettant de comprendre la fonction d’un organe, un mécanisme plus poussé nous amène vers l’intelligent design, parce que la comparaison donne l’illusion, ou est issue de l’illusion, d’un organisme parfaitement conçu et finalisé. On revient ici sur la question de la finalité, déjà vue précédemment (II. Hasard et finalisme)

Sur le mécanisme, Dominique Lecourt dans le Dictionnaire d’Histoire et philosophie des Sciences rappelle que Kant (1724-1804) dans sa Critique de la Faculté de Juger (1790) reprend l’exemple de la montre et écrit : "Dans une montre une partie est l’instrument du mouvement des autres, mais un rouage n’est pas la cause efficiente de la production d’un autre rouage ; certes une partie existe pour une autre, mais ce n’est pas par cette autre partie qu’elle existe. C’est pourquoi la cause productrice de celles-ci et de leur forme n’est pas contenue dans la nature (de cette matière), mais en dehors d’elle dans un être, qui d’après des Idées peut réaliser un tout possible par sa causalité.
C’est pourquoi aussi dans une montre un rouage ne peut en produire un autre et encore moins une montre d’autres montres, en sorte qu’à cet effet elle utiliserait (elle organiserait) d’autres matières ; c’est pourquoi elle ne remplace pas d’elle-même les parties, qui lui ont été ôtées, ni ne corrige leurs défauts dans la première formation par l’intervention des autres parties, ou se répare elle-même, lorsqu’elle est déréglée : or tout cela nous pouvons en revanche l’attendre de la nature organisée. Ainsi un être organisé n’est pas simplement machine, car la machine possède uniquement une force motrice ; mais l’être organisé possède en soi une force formatrice qu’il communique aux matériaux, qui ne la possèdent pas (il les organise) : il s’agit ainsi d’une force formatrice qui se propage et qui ne peut pas être expliquée par la seule faculté de mouvoir (le mécanisme).
"
Kant voit ainsi une finalité dans l’être vivant, mais une finalité qui n’est pas fixée de l’extérieur comme pour une machine humaine.

G. Canguilhem fait remarquer, « il y a plus de finalité dans la machine que dans l’organisme, parce que la finalité y est rigide et univoque, univalente. » «  Dans l’organisme au contraire, on observe une vicariance des fonctions, une polyvalence des organes ». Il contredit ici Aristote, qu’il cite : « la nature ne procède pas mesquinement comme les couteliers de Delphes dont les couteaux servent à plusieurs usages, mais pièce par pièce, le plus parfait de ses instruments n’est pas celui qui sert à plusieurs travaux mais à un seul ». [5]
On connait de nombreux exemples d’organes jouant plusieurs rôles dans l’organisme, ce qui peut s’expliquer par leur histoire évolutive. Cette finalité imparfaite, témoin de l’évolution, est une limite du finalisme, et du mécanisme.

 L’histoire du vitalisme est intéressante aussi à titre d’exemple, pour jeter un éclairage sur d’autres questions qui ne sont pas encore refermées. Je voudrais en particulier faire un parallèle entre cette question de la Vie et celle de la conscience, de l’esprit humain, question si importante dans l’évolution dés que l’on s’approche de l’histoire de l’Homme.

On retrouve dans les deux cas des interrogations du même ordre, en particulier une interrogation sur la continuité : d’un côté y a-t-il ou non continuité entre la matière inerte et la matière vivante ?, de l’autre y a-t-il ou non continuité entre l’intelligence animale et l’intelligence humaine ? Dans les deux cas la question est : s’agit d’une différence de degrés ou d’une différence de nature ?

    • Interrogation sur l’origine et la nature, matérielle ou supra naturelle.

Quelles sont les réponses proposées pour la conscience humaine ?

    • D’un côté nous avons le matérialisme scientifique qui malgré les immenses zones d’ombres qui subsistent encore dans les neurosciences suppose que la conscience s’expliquera par et uniquement par les propriétés des neurones et des réseaux nerveux, éventuellement en faisant appel à des propriétés émergentes. C’est une explication que la science est (pour l’instant ?) incapable de fournir, il faut bien l’avouer.
    • D’un autre côté nous avons l’âme rationnelle d’Aristote, l’esprit immatériel du dualisme cartésien, l’âme de la religion.

Dans cette opposition, il est facile de reconnaître une opposition similaire à l’opposition mécanisme/vitalisme, avec d’un côté une doctrine matérialiste éloignée du sens commun et sans magie et de l’autre côté une doctrine plus intuitive mais qui sort facilement du champ de la science, ces deux oppositions pouvant se confondre ou se prolonger.

On retrouve ici une difficulté à se représenter la complexité et c’est ici que surgit la tentation vitaliste face à une complexité que je ne parviens pas à démêler et à expliciter, j’appelle ce qui me paraît un peu magique force vitale et je m’en satisfais.

De la même manière dans le cerveau, cette complexité qui me dépasse, je l’appelle l’âme, l’esprit, et je le sépare du matériel. C’est aussi la tentation animiste. La différence par rapport à la précédente, c’est qu’ici la science n’a pas (encore ?) de réponse complète à donner.

Il faut donc, dans un enseignement de l’évolution, en particulier lorsque l’on va en arriver à l’Homme, tenir compte de cette magie de la vie présente dans les représentations.

L’histoire du vitalisme, et plus précisément Claude Bernard, nous enseignent ce à quoi ressemble une réponse acceptable pour la science : la théorie de l’évolution, fondée sur le matérialisme et utilisant uniquement les propriétés de la matière, est une réponse acceptable. Le dessein intelligent ne l’est pas, pas plus que l’énergie ascendante de Teilhard de Chardin.

La question de la vie peut nous enseigner à voir ce que sera une réponse acceptable pour la science lorsque nous parlerons de la nature et de l’origine de l’intelligence humaine.

IV. La place de la Science, Religion et Morale

V. Enseigner l’évolution de la lignée humaine

Me contacter : B. Boucher

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Bibliographie :

 Paul Mazliak :

  • la naissance de la biologie dans les civilisations de l’Antiquité (Vuibert adapt)
  • la biologie au siècle des lumières (Vuibert adapt)
  • Les fondements de la biologie (Vuibert adapt)

 Dossiers Pour la science : Où est née la vie (juillet 2008)

 Dictionnaire d’histoire et de philosophie des sciences, sous la direction de Dominique Lecourt, PUF

 Georges Canguilhem :

  • La connaissance de la Vie, ed Vrin
  • Etudes d’histoire et de philosophie des sciences concernant le vivant et la vie, ed Vrin

 Claude Bernard Introduction à la médecine expérimentale

Notes

[1Recherches physiologiques sur la vie et la mort (1800), cité par D Lecourt

[2Aspects du vitalisme, dans la Connaissance de la vie

[3Aspects du vitalisme, dans la Connaissance de la vie

[4La question de la vie, dossier Pour la Science Où est née la vie ? Juillet 2008

[5Machine et organisme, dans la Connaissance de la vie

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